La solitude des tempêtes

par Christelle  -  28 Juin 2023, 06:52  -  #Coup de cœur, #Albin Michel, #Littérature Américaine, #Littérature étrangère, #Premier roman, #Rentrée littéraire 2023, #Roman, #Terres d’Amérique

La solitude des tempêtes

La solitude des tempêtes d’Eric Nguyen aux Éditions Albin Michel 

Collection Terres d’Amérique

Traduit de l’américain par Clément Baude

“ Si Công la voyait ! Elle s’imagina parler l’anglais comme lui le français, à la perfection. Elle s’imagina avec lui sur le perron, devant un jardin – peut-être identique à l’un de ceux qu’elle avait vu ici, à la Nouvelle-Orléans, avec des parterres de fleurs impeccables, des arroseurs automatiques et des abreuvoirs à oiseaux. Elle lui montrerait les mots, l’aiderait à les prononcer. Elle pensa à tout ce qu’elle lui dirait, une fois qu’ils seraient installés, prospères, américains, se remémorant tout ce que la vie leur avait fait subir jusque-là, l’improbabilité de leur survie, et pourtant, et pourtant… ” 

C’est accompagné de son mari Công et de ses deux enfants que la jeune Hu’o’ng aurait dû débarquer à La Nouvelle-Orléans, après avoir fui le régime communiste du Vietnam, mais Công a fait le choix étrange de rester à quai. 

Sans argent, livrée à elle-même avec ses deux garçons, ne parlant même pas l’anglais, elle va devoir pourtant s’intégrer et commencer sa nouvelle vie, en attendant que son mari décide de les rejoindre. 

Les années passent et l’espoir de voir venir son mari s’est éteint, et pourtant il reste omniprésent dans ses pensées. Si pour l’aîné Tuán qui garde la nostalgie du pays, son côté rebel l’incite à rejoindre un gang vietnamien tandis que pour Bình arrivé bébé, qui préfère qu’on l’appelle Ben dorénavant c’est l’envie de devenir un parfait américain qui l’habite à condition qu’il arrive à assumer la découverte de son homosexualité. 

“ Ils sont arrivés en Amérique quand ils étaient petits et ont passé plus de temps à la Nouvelle- Orléans qu’à Saigon. De quoi peuvent-ils bien se souvenir ? Il y a dû avoir une bascule, un moment de transition au cours duquel ils sont devenus plus américains que vietnamiens, sans possibilités de retour en arrière. ” 

Chacun vit ses expériences face à l’exil mais au lieu de les unir, une ombre silencieuse plane sur eux, et menace de les séparer à tout jamais.

“ Qu’est-ce qui s’est passé ? Se demandent – ils tous. Comment en est- on arrivés là ? Et maintenant quoi ? ”

De retour de La Nouvelle-Orléans depuis peu, je découvre ce roman qui m’y transporte à nouveau et c’est avec un regard différent que j’aborde cette lecture, des images plein les yeux, de quoi donner encore plus de vie et de sens à cette histoire. 

Eric Nguyen est né aux États-Unis au sein d’une famille de réfugiés vietnamiens, et par ce roman choral qui donne la voix à chaque personnage de cette famille d’exilés, il rend un bel hommage aux siens. 

De leurs arrivées aux États-Unis, et notamment à La Nouvelle-Orléans, on suit cette famille à travers le regard de chacun, vivant de manière différente cette nouvelle vie qu’ils découvrent jour après jour, tout en suivant l’évolution de chacun et les tournants qu’ils prennent à différentes étapes dans l’ombre du père absent, et pourtant présent comme peut l’être un fantôme, bien trop pesant parfois, et face aux préjugés parfois hostiles. 

La solitude des tempêtes aborde l’exil avec délicatesse, d’une manière bien différente de ce que l’on peut avoir déjà lu, à travers une écriture magnifique et une belle traduction qui retranscrit à merveille toutes les émotions qui habitent les personnages tellement attachants. 

Un premier roman remarquable, d’une richesse incroyable, qui se dévore avec au final l’appréhension de voir arriver cet ouragan, de peur qu’il détruise à jamais cette famille qui mérite tellement de s’en sortir, et de nous laisser au bord du Mississippi le cœur dévasté. 

“ C’est le calme avant la tempête. […] C’est seulement plus tard qu’elle a compris qu’il n’y avait pas de guerre à La Nouvelle-Orléans : pas de guerre ici. La dernière guerre a eu lieu sur d’autres rives, avec d’autres gens, dans un autre pays, et il n’y aura jamais de retour en arrière vers cette vie-là. Elle s’en rend compte aujourd’hui, mais ça n’atténue pas pour autant la douleur. Au contraire, la douleur grandit. Elle grandit et prend la forme de deux garçons et les deux garçons grandissent et prennent la forme de deux fils, et ces deux fils grandissent et ressemblent à leur père, d’une façon irréelle, dans leurs humeurs, leurs gestes, leurs voix, si bien qu’elle a en permanence le sentiment de le perdre une seconde fois- arraché par le monde, par la vie, par le destin. ” 

Un Immense coup de foudre, pour ce premier roman, à découvrir absolument. 

Un jeune écrivain plein de talents que j’ai vraiment hâte de retrouver.

Eric Nguyen

 

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