Langue morte

par Christelle  -  31 Janvier 2022, 14:35  -  #Buchet.Chastel, #Coup de cœur, #Littérature française, #Roman, #Rentrée littéraire 2022

Roman

Roman

Langue morte d’Hector Mathis aux éditions Buchet Chastel 

“ Dehors tout est lourd. Silence d’angoisse… La grisâtre se barricade. Y’a que moi dehors, je suis un revenant… Peut-être y en a-t-il d’autres… […] En levant la tête, je retrouve mes fameux pylônes. Départs de câbles sans fin, découpant le ciel en portées. Il s’est peut-être écoulé dix minutes. Ou bien deux jours. Cette nuit pourrait ne jamais finir, je n’en serais pas étonné. Je ne sais pas ce que je fais ici, moi. Au quatre la lumière de mon ancienne piaule s’allume. ” 

De passage à la grisâtre, au pied de l’immeuble de son enfance, un homme se souvient. 

Les souvenirs s’invitent, surgissent du passé et ressuscitent ceux qui ont croisé son existence. De ses parents, à son frère, de ses voisins à ses copains, de ses professeurs à ses patrons, des proches et même des inconnus, tout un monde qui lui a fait connaître la joie, l’amitié, l’amour, mais également la bêtise, le désœuvrement, la colère, la souffrance, la vieillesse, la vie mais aussi la mort. 

“ La tranche de voyage que je viens de m’enfiler ! Ça alors… J’ai toujours pas bougé, moi. Suffit de tourner le tète pour se retrouver ailleurs… Drôle de géographie. Du Quatre, je peux voir la maison où mon père et mes oncles ont grandi. […] La grisâtre. Quatre frangins tout autour. Un père de passage. Qui trimballait son arme, trempait sa tige ailleurs, risquait sa peau dans les remous de l’histoire. Pour l’armée, l’OAS, pour son compte… ”

C’est toute une vie qu’il nous offre , de l’enfant qu’il était à l’adulte qu’il est devenu, d’une époque lointaine jusqu’à l’aube d’une nouvelle ère. 

“ Depuis tout petit je suis un fuyard. Je suis de la race des déserteurs. ” 

Depuis la lecture de son premier roman K.O, je suis tombée d’amour pour cette plume aussi poétique que percutante. Et même si je m’étais un peu perdue dans le second roman Carnaval, j’ai retrouvé tout ce que j’avais aimé de ses débuts d’écrivain, avec ce nouveau récit. 

Langue morte nous transporte à travers les souvenirs d’un homme tout en réveillant les nôtres. Avec son style singulier, poétique , il nous bouleverse tout en délicatesse. 

Loin d’être morte, sa langue nous fait vibrer, elle nous bouscule, nous émerveille, parfois de façon brutale mais avec une certaine sensibilité. 

La plume d’un écorché qui rêve avant le désenchantement. 

“ Toute activité humaine est un caprice. On n’agit jamais que pour tromper la souffrance ou l’ennui… Moi j’ai eu l’âme fugueuse. ” 

Langue morte est un roman terriblement beau, tant par sa plume que par toute cette errance qui nous fait voyager d’un lieu à un autre, au cœur de ses souvenirs tout en restant à ses côtés à la grisâtre. 

“ Elle roulait des tombes, sa voix, charriait de la ferraille et du sang. Sa langue finissait toujours en naufrage. Chavirait dans la salive pour y noyer ses mots. Dans son timbre y avait la nuit, la mort et tout un tas de fantômes. Assez de désespoir pour nous faire entendre l’existence. Comme elle sonnait réellement. Telle quelle. Pas trafiquée de sentiments. ” 

Un pur délice pour l’amoureuse des mots que je suis. 

Pour info : 

Né en 93, Hector Mathis a grandi dans les environs de Paris, entre la littérature et les copains de banlieue. 

Il est actuellement responsable des relations culturelles de la Maison Zola / Musée Dreyfus.

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