La version qui n’intéresse personne

par Christelle  -  7 Février 2024, 07:18  -  #Coup de cœur, #Littérature Québécoise, #Littérature étrangère, #Premier roman, #Rentrée littéraire 2023, #Roman, #Éditions le Quartanier, #Le Quartanier

La version qui n’intéresse personne d’Emmanuelle Pierrot aux Éditions Le Quartanier 

 

“ Pendant un bout, ce qui m’a gardé en vie, ça a été la perspective qu’un jour je dirais la vérité et qu’on me croirait. […] Je ne réparerai rien en racontant cette histoire, ni moi , ni les autres, ni le monde. J’essaye de survivre, de raconter sans sombrer dans la haine, et en honorant tout ce qui est beau, magique, grandiose, ce que j’ai aimé et qui m’a trahie. J’essaye de dire les choses sobrement. Si je mentais, je deviendrais comme les personnes que j’ai longtemps haïes. Ce qui m’a permis de ne pas reproduire le mal qui m’a été infligé, ce n’est pas l’art, les médicaments, ni la loi, c’est ce que j’ai décidé de devenir : un dead end, un cul-de-sac où va mourrir la haine. Je ne suis pas heureuse, je n’ai pas espoir de l’être un jour. Mais j’ai réussi à arrêter de haïr. ” 

La version qui n’intéresse personne, voilà un titre bien trompeur qui m’intéressait déjà bien avant sa sortie et je n’étais pas la seule. 
Une nouvelle plume québécoise (autant que vous soyez prévenus) qui nous embarque aux côtés d’une jeune femme installée depuis peu au Yukon avec Tom son meilleur ami, au sein d’une communauté punk anarchiste. 

 

“ J’aurais voulu ne jamais décevoir Tom, je l’aimais plus que tout, et je n’étais personne pour personne, sauf pour lui. ” 


Si au départ on partage leur quotidien, on sent petit à petit arrivés les prémices d’une tempête dans la vie de ces jeunes gens au mode de vie très subversif, où la drogue, le sexe et l’alcool, sont consommés sans modération. 
 

“ La nuit bleutée se trouait lentement d’une lumière mauve encore tamisée. Est-ce que ça t’arrive de penser à la mort ? À demandé Kosmas. Beaucoup à l’adolescence j’ai dit, mais moins depuis qu’on est arrivé au Yukon. Plein de choses me gardaient en vie. Il y avait Luna, l’amitié, la nature sauvage, la beauté, l’humour. Quand on serait morts, il serait trop tard pour rire. Et puis le suicide , c’était du travail, et je ne voyais pas pourquoi je me serais tapé cette corvée-là. Déjà qu’il fallait dormir, se soigner quand on était malade, se loger, se chauffer. Il fallait s’aimer, jouir, s’expliquer, se défendre et se battre contre … contre tout. ”

Et lorsque Sacha tombe amoureuse de Kosmas,  Tom son ami, touché dans son égo se sent trahi. Leur amitié devient toxique, destructrice et entraîne un mouvement de violence envers Sacha, une victime imparfaite qui se raccroche comme elle peut pour faire face à cette haine collective à son encontre que seule Luna, la chienne- louve qu’ils avaient adoptée semble apaiser. 

“ Luna courait droit devant et revenait périodiquement vers moi, comme pour me dire d’accélérer. On a croisé Rob. Elle est allée le voir en remuant la queue et a léché ses mitaines. Elle n’avait ce comportement qu’envers les rares humains qu’elle considérait comme des membres de sa meute. J’aurais voulu lui expliquer que, parfois, on s’imagine avoir des liens solides avec les gens, qu’ils sont notre famille, mais en fait on est juste une petite conne en train de succomber à un mirage et on doit se réveiller avant de crever de soif. ” 

 


J’ai souvent pensé à Xavier Dolan au cours de ma lecture, à ses films, des œuvres intimes, décalées, à ses rôles toujours fascinants et percutants, d’une grande maîtrise et je me suis demandée si Emmanuelle Pierrot ne serait pas sa version féminine. 


Car ce roman est un véritable uppercut littéraire qui bouscule, incommode, dérange, bouleverse tant par son histoire que par la manière dont elle est racontée, même si parfois on regrette qu’un lexique québécois ne soit pas présent pour mieux comprendre la langue qui possède beaucoup d’expressions propres à ce pays. 

Mais ça ne m’a pas empêché d’être emballée par cette histoire d’être touchée par tout ce que subit cette jeune femme, harcelée, violentée physiquement et verbalement par ceux qu’elles croyaient ses ami.es. 

C’est sauvage, cruel, fascinant, décalé, hors norme et bouleversant à la fois, les thèmes abordés sont actuels et montre à quel point tout peu déraper très vite et faire d’une femme libérée, une victime imparfaite et lui faire vivre l’enfer. 

La version qui n’intéresse personne, ça m’étonnerait beaucoup qu’elle n’intéresse que moi. 
Je serais même curieuse de savoir si Xavier Dolan l’a lu. 


 

Emmanuelle Pierrot

 

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